Paris-Alger : la réouverture des canaux diplomatiques

Après plusieurs mois de brouille diplomatique, Paris et Alger tentent de relancer un dialogue bilatéral apaisé. Une reprise prudente, mais stratégique, amorcée par la visite du ministre Jean-Noël Barrot dans la capitale algérienne.

Une relation bilatérale mise à mal

La reconnaissance par Paris, en juillet 2023, du plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental a ravivé de profondes crispations à Alger. L’Algérie, soutien indéfectible du Front Polisario et de l’option référendaire, a perçu cette inflexion comme une trahison politique. Ce différend sur un dossier historique a ravivé une méfiance tenace, alimentée par la rivalité régionale entre Alger et Rabat, dans laquelle la position française pèse lourdement.

Le refroidissement diplomatique a trouvé un écho immédiat dans la sphère économique. Selon le ministre Jean-Noël Barrot, les échanges commerciaux entre la France et l’Algérie ont chuté de 30 % depuis l’été 2023. Le secteur agricole a été particulièrement touché, avec une quasi-disparition des exportations françaises de blé vers l’Algérie, traditionnel partenaire. Cette contraction s’explique par des mesures administratives délibérées de la part d’Alger, et par une volonté politique de diversification de ses partenaires économiques, notamment vers la Chine et la Russie.

La crise a également gelé les canaux de coopération sécuritaire, notamment dans la lutte contre le terrorisme sahélien. Or, cette coopération était jusqu’alors considérée comme un pilier de la relation franco-algérienne. La rupture de ces échanges a compliqué la circulation d’informations stratégiques, au moment où la région connaît une recrudescence d’attaques jihadistes. La condamnation de l’écrivain Boualem Sansal en novembre 2024, accusé d’atteinte à la sûreté de l’État algérien, a par ailleurs ravivé les tensions, en provoquant une onde de choc dans les milieux intellectuels français.

La tentative de relance diplomatique

Jean-Noël Barrot s’est rendu à Alger le 6 avril 2025, marquant la première visite officielle d’un membre du gouvernement français depuis plusieurs mois. Reçu par Ahmed Attaf, ministre algérien des Affaires étrangères, le ministre français a affiché un ton apaisant, évoquant une « nouvelle phase » des relations. Ce déplacement vise à recréer les conditions d’un dialogue serein, même si les points de divergence restent entiers. Le langage diplomatique employé traduit une volonté de tourner la page sans nier les désaccords profonds.

À l’issue de cette rencontre, Jean-Noël Barrot a affirmé que les deux pays convenaient de reprendre leurs échanges dans tous les domaines. Cette relance concerne notamment l’éducation, la culture, la sécurité, ainsi que les enjeux migratoires. Une reprise qui devra cependant se concrétiser dans les faits, après une période de gel partiel. Paris espère notamment réactiver les mécanismes de coopération liés aux visas, gelés en 2021, et faire avancer certains projets énergétiques stratégiques dans le contexte de la transition écologique.

Si cette reprise ne signifie pas une réconciliation immédiate, elle témoigne d’un changement de ton. Alger semble disposé à rouvrir les canaux diplomatiques, dans un contexte régional instable où l’isolement serait coûteux. De son côté, Paris souhaite éviter une rupture durable avec un partenaire majeur du Maghreb, au moment où les influences russes, turques et chinoises s’étendent. La relance des discussions témoigne d’un réalisme partagé : la crise ne profite à personne, et le statu quo pourrait affaiblir les deux capitales sur la scène internationale.

Une relation durablement fragilisée ?

Le contentieux mémoriel reste un facteur structurel de tension. La guerre d’Algérie, et la manière dont elle est évoquée dans l’espace public français, demeure une ligne de fracture. Alger reproche à Paris une reconnaissance incomplète des responsabilités coloniales, tandis que la société française reste divisée sur ce sujet sensible. Tant que cette mémoire blessée ne sera pas traitée avec sincérité et nuance, la relation restera fragile et sujette aux accès de crise.

La rivalité entre Alger et Rabat, sur fond de Sahara occidental, continue d’alimenter les divergences avec Paris. La France, soucieuse de ménager ses liens avec le Maroc, a du mal à apparaître comme une puissance d’équilibre. De son côté, l’Algérie accentue sa stratégie de contournement de la sphère d’influence occidentale, en multipliant les partenariats avec la Russie, la Chine ou encore la Turquie. Cette tectonique des alliances rend tout rapprochement structurel plus difficile.

La « nouvelle phase » évoquée par Jean-Noël Barrot s’annonce comme une normalisation à minima, plus pragmatique que fraternelle. Il ne s’agit plus, comme lors des premières années Macron, de « réconcilier les mémoires » ou de miser sur une amitié renouvelée. L’heure est à la gestion des désaccords, à la recherche d’un modus vivendi, sans ambition de grand dessein. En somme, une relation fonctionnelle, mais désenchantée, dictée par les impératifs du réel plus que par l’idéal politique.



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.